Isabelle Fortier

Isabelle Fortier, Ph. D. en management (HEC-Montréal), est professeure titulaire à l’École nationale d’administration publique (ENAP-Montréal), Québec, Canada.

Elle a obtenu une Chaire Gutenberg à l’invitation de l’École nationale d’administration (ENA) de Strasbourg

Contact : isabelle.fortier@enap.ca isabelle.fortier@ena.fr

Ses recherches se concentrent autour des enjeux relatifs aux réformes administratives et aux modes de gouvernance de l’État, incluant, plus spécifiquement : le managérialisme, l’ethos du secteur public, les enjeux de l’accélération et de la reconnaissance dans le contexte d’hypermodernité; les transformations des instruments d’action publique et des dynamiques d’acteurs en lien avec la conception du bien commun et de l’intérêt général; les politiques publiques dans le secteur de la culture. Ses travaux mobilisent les approches critiques, managérielles et narratives dans le contexte de modernité avancée, de même que l'approche biographique en recherche et en formation. Elle enseigne les habiletés et les compétences de gestion et de direction ainsi que le développement de carrière à des gestionnaires dans le cadre du programme de maitrise en administration publique (MAP). Au doctorat, elle enseigne les approches qualitatives en recherche.

Résumé du projet de recherche financé par une Chaire Gutenberg-ENA Strasbourg

Quand l’administration publique est sujette aux variations de rythme : les managers publics face aux défis de l’accélération sociale

La recherche conduite dans le cadre de la chaire porte sur le rôle des rythmes et les conséquences de l’accélération sur la conduite de l’action publique en général, et sur les conditions de travail des managers publics en particulier. Elle s’est inspirée des travaux d’Hartmut Rosa autour du concept d’accélération sociale et de ses trois dimensions : accélération technique caractérisée par des déplacements et communications plus rapides et conduisant à un « rétrécissement de l'espace » ; accélération des changements sociaux se traduisant par les changements plus rapides des habitudes et des modes sous la forme d’un « rétrécissement du présent » ; accélération enfin des rythmes de vies produisant une impression de manque de temps permanent. Le projet entend traiter la problématique suivante : quelles formes prend le phénomène d’accélération sociale et quelles conséquences peut-il avoir dans les institutions et plus particulièrement au sein de l’administration, sur les individus en charge de la mise en œuvre des politiques et de la conduite des services publics ?  En menant une étude phénoménologique sur la manière dont les managers publics font l’expérience des différents rythmes auxquels ils sont soumis et en dressant une cartographie de leurs pratiques et modes d’adaptation, il sera possible de faire apparaitre les formes et les effets de l’accélération sur leur champ d’action et sur l’éthos de service public. 

Allocution de la titulaire de la Chaire Gutenberg-ENA lors de la remise des prix, le 4 mars 2020

C’est un honneur pour moi d’être accueillie et accompagnée par les collègues de l’ENA dans cette aventure de recherche au cœur de l’administration publique française. Toute ma gratitude va à l’ENA pour cette invitation et au Cercle Gutenberg pour la confiance dans le potentiel de cette démarche de recherche.

Le temps est une ressource inestimable pour les individus et les institutions. Alors que nous pouvons avoir l’impression que le temps s’accélère, il demeure pourtant égal à lui-même, d’heure en heure, de jours en jours, il défile, indifférent à nos états d’âme, et s’écoule comme sable entre nos doigts. Pourtant, dans une situation où quelques minutes d’horreur ou d’attente nous paraissent durer une éternité, dans les moments de bonheur qui nous semblent fuyants, nous voudrions que le temps s’arrête. C’est donc que notre rapport au temps est fortement marqué par les dimensions subjective et sociale de notre expérience.

Nous vivons à une époque où, notamment grâce à la technologie, ou à cause d’elle, c’est selon, on cultive l’espoir de gagner du temps—et c’est bien cela qu’elle nous promet—alors qu’on se retrouve plus souvent qu’autrement avec l’impression d’en perdre. C’est le règne de l’instantanéité. Alors qu’à plusieurs égards nos vies s’accélèrent, nous faisons tout plus rapidement, simultanément, en minimisant les « pertes de temps », nous cultivons la promesse de pouvoir ainsi vivre une vie plus remplie. Carburant à l’adrénaline de l’action, nous nous retrouvons pris dans l’engrenage de la course, ayant du mal à suivre le rythme en continu et surtout, ayant du mal à nous poser sans avoir l’impression d’être vite dépassés. C’est le règne de l’urgence permanente où notre capacité de discernement s’amenuise et que l’on ressent plus durement les choses qui semblent incompressibles en termes temporels. Imaginez, en effet, les gains en productivité que nous ferions si on pouvait être en pleine forme après seulement 4 heures de sommeil. Ceux qui le peuvent jouissent d’un injuste avantage n’est-ce pas ?

Les organisations et les institutions publiques n’échappent pas à ces enjeux temporels qui amènent de nouvelles sources de comparaisons, de tensions et de frictions. Pourquoi faire des concours à l’embauche qui prennent tant de temps ! Pourquoi ces longs processus d’appel d’offres pour les contrats publics ? Les entreprises privées qui n’ont pas à s’en soucier bénéficient d’un avantage dans la course n’est-ce pas ? Les principes d’accessibilité, de mérite et d’équité sont rudoyés et ont la vie dure face aux pressions à l’accélération dans les administrations. Ceux qui œuvrent et qui gèrent dans le secteur public ont à la fois la responsabilité de réfléchir aux conséquences sur le long terme et sur l’ensemble d’une population, tout en étant garants à très courts termes des résultats à « livrer » et aux impacts sur les individus. Ils sont constamment en course, voire mis en compétition avec ce marché qui n’est en rien redevable des mêmes contraintes, légales notamment. « La démocratie a un prix » me disait avec justesse un manager, « et pour cette raison l’État ne pourra jamais compétitionner avec le privé » concluait-il. D’ailleurs, Philippe Delmas ne disait-il pas (déjà en 1991) que l’État était le « gardien des horloges » pour la gestation du futur à l’encontre de l’éphémérité des marchés.

Mais, peut-être victime de cette injuste comparaison, il n’y a pas que le marché qui presse les organisations publiques de nos jours. Les citoyens ont et expriment haut et fort leurs attentes, dont celle d’accepter de moins en moins bien de devoir parfois « attendre ». On pourrait dire la même chose des acteurs politiques. Pourtant, on n’en est pas à un paradoxe près. Comme société, on demande plus de processus participatifs. On veut plus qu’une démocratie représentative pour laquelle on vote ponctuellement et périodiquement. On veut une démocratie délibérative à laquelle tous peuvent participer en continu. Mais cela implique d’y consacrer du temps, beaucoup de temps, alors que tout autour pousse à aller plus vite.

Bien que ces tensions, présentées ici de manière caricaturale et à grands traits, sont assez bien connues, le pari que propose cette recherche c’est de mieux les comprendre et en rendre compte de l’intérieur, c’est-à-dire dans la manière qu’elles sont vécues au sein des administrations publiques.

Rosa, de l’école de Francfort, dit qu’il n’est pas possible de comprendre notre monde contemporain sans prendre en considération les enjeux de l’accélération sociale. Cette recherche se veut une exploration des rythmes multiples qui caractérisent l’action et la décision publiques au sein de l’administration. Certains rythmes se renforcent et peuvent devenir des moteurs d’accélération, alors que d’autres s’entrechoquent et peuvent générer des blocages ou des ruptures. Quels sont donc les rythmes qui temporalisent l’action publique sur des cycles plus ou moins longs et à des niveaux macro-méso-micro de la vie institutionnelle, organisationnelle et individuelle ? Comment ces rythmes définissent-ils les contours de l’action et de la décision au quotidien pour ceux qui y œuvrent ? Quels sont les moteurs et les freins de l’accélération ? Quelles sont les conséquences des transformations temporelles sur le fonctionnement de nos institutions démocratiques et de nos services publics ?

Liste de publications

Pour une bibliographie complète consultez la page web : www.enap.ca/enap/fr/EnseignantUniversite.aspx

Articles avec comités de lecture:

  • FORTIER, I., M.-A. THERRIEN (2018), « « Becoming a Public Manager: The Human Side of the Bureaucrat », CAPPA annual Conference, Regina (to be published).
  • FORTIER, I., M.-A. THERRIEN (2018), « The democratic State and public administration challenged by acceleration », Canadian Public Administration, 61(3), p. 462-466.
  • FORTIER, I., M. CASTELLANOS JUAREZ (2017), « How Hypermodern and Accelerated Society are Challenging the Cultural Sector », The Journal of Arts Management, Law, and Society, 47(4), p. 209-217.
  • FORTIER, I., Y. EMERY, R. Roldan (2016), « Des conditions et enjeux comparés de la politisation de l’administration publique (Canada/Suisse): les cadres dirigeants au carrefour des multiples interactions fondant l’ethos public », Gestion et management public, 2016\2, 4(4), p.75-98.
  • FORTIER, I. (2014), « Ethos public et quête de sens dans cette ère de réforme : le NMP, ses critiques et les luttes pour la reconnaissance d’une spécificité du secteur public », Revue@GRH, no 9, p. 157-198.
  • FORTIER, I. et Y. EMERY (2012), « L’ethos public en tant que processus social dynamique. Contribution de l’identité narrative à l’explicitation d’un concept-clé dans le contexte des réformes en cours dans l’administration publique », Revue Pyramides, 22.
  • FORTIER, I. (2010), « La « Réingénierie de l’État », réforme québécoise inspirée du managérialisme», Revue française d’administration publique, 136,803-820.
  • FORTIER, I. (2010), « La modernisation de l’État québécois : la gouvernance démocratique à l’épreuve des enjeux du managérialisme », Nouvelles pratiques sociales, 22(2),p. 35-50.
  • FORTIER, I. (2009), « Expérience des réformes et transformation de l'ethos de service public dans l'administration publique québécoise », revue Pyramides, numéro spécial sur Les réformes de l'administration publique vues d'en bas, 19(3), p.  71-86, Bruxelles, Presses universitaires de Bruxelles.

Chapitres dans des ouvrages collectifs :

  • FORTIER, I (2018), « État, démocratie, administration publique : les enjeux de l’accélération », Dans Nicole Aubert (sous la direction), @La recherche du temps : Individus hyperconnectés, société accélérée, tensions et transformations, Éditions Érès, Collection Sociologie clinique, Toulouse, p.319-342.
  • FORTIER, I. (2018), « Récit de vie et carrière des gestionnaires publics : Savoir, vouloir et pouvoir agir dans un monde accéléré », Dans FORTIER et al. (sous la direction), Clinique en sciences sociales : sens et pratique alternatives, Presses de l’Université du Québec, Collection Problèmes sociaux et interventions sociales, Québec, p.201-211.
  • FORTIER, I. (2015), « Loyautés en tension pour les gestionnaires publics : le rôle médiateur de l’ethos public et les luttes pour la reconnaissance », dans L. Bégin et J. Ceteno (direction), Les loyautés multiples. Mal-être au travail et enjeux éthiques, Nota Bene.  
  • FORTIER, I. (2012), « Récit de vie, identité narrative et ethos public dans le contexte de la Nouvelle gestion publique et de la modernité radicale », DESMARAIS, D., FORTIER, I., J. RHÉAUME, Transformations de la modernité et pratiques (auto)biographiques, Presses de l’Université du Québec.
  • FORTIER, I. (2011), «Le récit de vie des gestionnaires pour comprendre et penser l’ethos de l’action publique», Dans C. YELLE, L. MERCIER, J.-M. GINGRAS, S.BEGHDADI (sous la direction), Les histoires de vie : un carrefour de pratiques, Québec, Presses de l’Université du Québec, p.139-165.
  • FORTIER, I. (2010), « Ethos public, carrière et construction identitaire des gestionnaires québécois», Performance publique, Management et gestion des ressources humaines dans le secteur public, Éditions Larcier.